Sous nos pieds, un monde vivant : repenser l’agriculture en partant du sol

Pourquoi avons-nous collectivement oublié ce monde vivant sous nos pieds ? Et comment le remettre au cœur de la transition ?
C’est le message fort porté par Marc-André Selosse, écologue et professeur au Muséum national d’Histoire naturelle, lors de la conférence plénière d’ouverture de la quatrième édition de CarbonConnect. En réhabilitant le sol comme une « infrastructure vivante », il nous invite à repenser l’agriculture… à partir du sol.

Le sol, un allié oublié de la transition agricole

Dans les débats sur la transition écologique de l’agriculture, on parle souvent d’énergie, de carbone, de pratiques culturales… mais rarement du sol. Or, sous nos pieds, un monde vivant travaille sans relâche pour la fertilité des cultures, le stockage du carbone, la régulation de l’eau et bien plus encore.

L'écologue Marc-André Selosse, professeur au Muséum national d’Histoire naturelle, a rappelé une vérité essentielle : un sol, ce n’est pas de la matière inerte, c’est un écosystème à part entière. Et c’est en restaurant la vie des sols que les filières agricoles pourront réellement engager leur transformation.

Un quart des espèces connues vit dans le sol

Pour Marc-André Selosse, il y a urgence à réhabiliter notre regard sur les sols. D’après les estimations actuelles, 25 % des espèces vivantes connues sont souterraines. Et ce chiffre pourrait être bien supérieur, tant la biodiversité des sols reste largement inexplorée. Bactéries, champignons, acariens, nématodes, lombrics : cette faune et flore microscopique travaille sans relâche à recycler la matière organique, nourrir les plantes et structurer les sols.

Le problème ? « On ne gère bien que ce qu’on connaît. Or aujourd’hui, on connaît très mal cette biodiversité. » Ce déficit de reconnaissance pèse lourd : dans les politiques agricoles comme dans les pratiques de terrain, la vie du sol reste absente, invisible… et donc peu protégée.

Des services écosystémiques gratuits, mais fragiles

Si cette biodiversité est méconnue, elle n’en est pas moins indispensable. Chaque micro-organisme joue un rôle dans les grands cycles du carbone, de l’azote et de l’eau. Elle contribue à :

  • Stocker du carbone
  • Limiter l’érosion
    Dégrader certains polluants
  • Maintenir la fertilité des cultures
« La biodiversité du sol, ce n’est pas un bonus : c’est une infrastructure vivante, qui rend des services gratuits à l’agriculture. »

Pourtant, nos pratiques actuelles la fragilisent :  

  • Travail intensif du sol
  • Usage massif d’intrants chimiques
  • Tassement lié au passage d’engins lourds
  • Déficit en matière organique

Autant de facteurs qui appauvrissent la vie du sol et accélèrent sa dégradation.

Le sol, un levier de décarbonation sous-exploité

Dans la lutte contre le changement climatique, le sol est rarement cité en première ligne. Pourtant, il représente un puits de carbone naturel d’une puissance remarquable. Chaque hectare de sol en bonne santé peut stocker jusqu’à plusieurs dizaines de tonnes de carbone, sous forme de matière organique stabilisée. Une richesse discrète… mais fragile.

Pour Selosse, la matière organique est la clé. Elle n’est pas qu’un simple résidu de culture ou un engrais naturel : elle est le socle de toute la dynamique biologique du sol. En se décomposant, elle nourrit les micro-organismes, qui eux-mêmes nourrissent les plantes. Et c’est ce cycle vivant qui permet à la fois de stocker du carbone et de régénérer la fertilité.

Mais pour cela, il faut laisser du temps, de la complexité, de la diversité. Bref, faire confiance au vivant.

Réhabiliter la matière organique : une priorité pour toutes les filières

La perte de matière organique dans les sols agricoles est un phénomène massif et silencieux. Dans les grandes cultures intensives notamment, de nombreux sols ont perdu entre 30 et 50 % de leur teneur en carbone en quelques décennies. Cette érosion du capital biologique a des conséquences profondes : 

  • moindre résistance à la sécheresse
  • baisse de rendement
  • dépendance accrue aux intrants

Pour inverser la tendance, plusieurs pratiques existent : 

  • allonger les rotations 
  • introduire des couverts végétaux
  • intégrer des apports organiques comme le fumier ou le compost
  • limiter le travail du sol, planter des haies
  • associer cultures et arbres. 

Mais ces solutions ne sont pas des recettes miracles. Elles demandent une vision systémique, une adaptation locale, et surtout une continuité dans le temps.

Agir ensemble, à l’échelle du territoire

Restaurer la vie du sol n’est pas seulement un enjeu agronomique ou climatique : c’est un projet de territoire. Car un sol en bonne santé profite à tous. Il filtre mieux l’eau, réduit le risque d’inondation, stabilise les rendements, soutient la biodiversité.

C’est pourquoi Marc-André Selosse appelle à une approche collective : collectivités locales, coopératives, entreprises agroalimentaires, gestionnaires de bassin versant… tous ont un rôle à jouer. L’agriculture régénérative ne pourra réussir que si elle est portée par un écosystème d’acteurs, unis par une vision commune : remettre le vivant au cœur de nos systèmes alimentaires.

Conclusion : changer de regard pour changer d’agriculture

Sous nos pieds, un monde vivant œuvre chaque jour à rendre notre agriculture plus résiliente, plus sobre, plus fertile. Et pourtant, il reste largement ignoré.

À CarbonConnect, le message de Marc-André Selosse a été clair : le sol n’est pas un décor. Il est un acteur central de la transition. Pour transformer nos systèmes alimentaires, réduire notre empreinte carbone, reconstruire des territoires vivants, il faudra commencer par là.

Changer de regard, redonner de la matière organique, ralentir, complexifier… et faire confiance à la vie du sol. Parce que c’est là que tout commence.

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